Je suis fier de présenter cet article à propos du Combate Eskrima Maranga et son fondateur Timoteo « Timor » Maranga. Cet article se positionne après celui d’un bref historique de l’Eskrima à Cebu et celui de Venancio Anciong Bacon : le fondateur du Balintawak Eskrima. Je vous invite à lire ces deux articles, avant de lire celui-ci, pour bien situer le contexte.
Je pratique le Combate Eskrima Maranga depuis 2012 auprès de Maestro Rodrigo Maranga et j’aime profondément cet art martial. En tant que pratiquant d’arts martiaux, il m’a permis de m’épanouir dans la pratique au maniement des armes. J’espère que cet article pourra promouvoir ce formidable art martial philippin et par la même occasion rendre hommage à son créateur, Timoteo Maranga, ainsi que sa famille.
Timoteo « Timor » Maranga (1919-1988)
Timoteo Maranga est né en 1919. Il a grandi dans le quartier de Santa Rosa sur l’île de Olando, une petite île située entre l’île de Cebu et l’île de Bohol, au centre de l’archipel des Visayas [1]. Il s’est initié à l’Eskrima dès son plus jeune âge, à 7 ans, en pratiquant avec son père Gregorio Maranga un style obscur nommé Demarina. [1] [2] [4]
Plus tard, son expérience en Eskrima s’est grandement enrichie lorsqu’il s’est mis à voyager dans tous les Philippines dans le cadre de son travail. Cela lui a permis d’apprendre plusieurs style comme Decadena, Literada, Sumbrada, Sungkiti, Florete, Batanguena … auprès de plusieurs Maîtres d’arts martiaux philippins, parmi eux : Emilio Tado, Faustino Tanio, Rogelio Ortiz, Emo Sagarino, Dalmacio Salinguhay et Tatang Ilustrisimo. [1] [2] [4] [5] [6]
Par la suite, Timoteo Maranga s’est installé à Cebu City. Il y a rencontré Eslao Romo, un eskrimador bien connu de Pasil, ainsi que d’autres grands eskrimadors de l’époque, entre autres, Teodoro « Doring » Saavedra et Lorenzo « Ensong » Saavedra, deux des 12 fondateurs du Doce Pares. [1]
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Timoteo Maranga, a participé aux combats contre les japonais au sein du légendaire Bolo Battalion [1], comme de nombreux eskrimadors de son temps. Bien que les armes à feu étaient principalement utilisées lors des combats, les forces philippines ont parfois utilisé leur bolo (machette philippine) au combat rapproché face aux soldats japonais qui en faisaient tout autant avec leur sabre.
Après la Guerre, la pratique de l’Eskrima de Timoteo Maranga a pris un autre tournant lorsqu’il a rencontré Venancio « Anciong » Bacon, par l’intermédiaire du mari de sa tante, Dading Melchades [2]. Cette rencontre a changé en profondeur l’Eskrima de Timoteo Maranga, qui était insatisfait jusqu’alors par les styles qu’il avait pratiqués. [8]
En 1952, Venancio « Anciong » Bacon a quitté le Doce Pares et a fondé le Balintawak Self Defense Club. Epaulé par Delfin Lopez et Timoteo Maranga, ensemble ils formaient les 3 piliers du Balintawak Eskrima. Timoteo Maranga s’exerçait avec de nombreux eskrimadors comme Atty. Jose Villasin, Johnny Chiuten, Vicente Atillo, Jose « Joego » Millan et Rodolfo Mongcal. [2]
La création du Balintawak Self Defense Club en 1952 marque le début d’une grande rivalité entre les différents eskrimadors de Cebu et a abouti à des années de confrontations violentes. Les pratiquants du Doce Pares et du Balintawak se sont particulièrement affrontés lors de duel, sans aucunes règles ni protections ; nommés Juego Todo. C’est durant cette période mouvementée, jusqu’à la fin des années 1960, connue désormais comme l’âge d’or de l’Eskrima, que de nombreux eskrimadors du Balintawak Eskrima comme Timoteo Maranga, Atty Jose Villasin, Teodor Buot, Teofilo Velez et Anciong Bacon, ont acquis une expérience considérable en combat réel. [5] [9] [10] [11]
Timoteo Maranga a également servi au sein des forces de Police de la ville de Cebu, principalement dans le quartier de Pasil. Rodrigo Maranga, son fils, raconte qu’un jour, il a essayé d’apaiser les tensions entre deux gars qui voulait s’affronter au bolo à Fish Carbon Market (Pasil). Un des deux gars était vraiment furieux et il l’a testé en combat… voici une anecdote parmi d’autres qui témoigne de l’expérience de Timoteo Maranga en tant qu’eskrimador en combat réel. [1] [8]
« Quand nous tenons notre bâton, il n’y a que deux objectifs : se défendre et attaquer notre adversaire. Ni plus, ni moins » Timoteo Maranga [8]
Tres Personas Eskirma de Combate Super Kuwentada System
Fort de son expérience et de ses recherches dans l’art du bâton, mais également dans d’autres pratiques martiales telles que le Judo, le Jiujitsu, la Boxe ou encore la Lutte, Timoteo Maranga a créé son propre système en 1975 [15] [16] . Il nomma son art Tres Personas Eskrima de Combate Super Kuwentada System. « Tres Personas » est en référence à la Sainte Trinité ; Dieu le père, Dieu le fils et le Saint Esprit, et également, aux experts à l’origine de son système ; Anciong Bacon, Delfin Lopez et Timoteo Maranga [3] [4] . « Eskrima de Combate » précise que ce système est fait pour combattre. « Super Kuentada (ou Cuentada) » indique que le principe Cuentada est d’un niveau supérieur à ce qui était pratiqué jusqu’alors.
Cuentada est l’un des grands principes de combat du Balintawak Eskrima. C’est un mot d’origine espagnol qui signifie compter, calculer. Dans le contexte d’un combat, on pourrait le traduire par contrer. Ce principe part du postulat que chaque mouvement à un contre, et que chaque contre à un contre à son tour, etc… Chaque mouvement est donc effectué en anticipant inconsciemment la réponse de l’adversaire. [12] [13] [14]
Durant l’âge d’or de l’Eskrima, Anciong Bacon, le Maître de Timoteo Maranga, était l’un des eskrimadors les plus redoutés de Cebu. Il était réputé pour avoir remporté de nombreux duels en combat singulier. Il a d’ailleurs été incarcéré pour avoir tué un adversaire en duel. En prison, GM Anciong Bacon n’a jamais cessé d’innover et d’améliorer son Balintawak Eskrima. Quand il a été libéré au milieu des années 1970, Bacon avait modifié son art et il l’appelé désormais Cuentada. Très peu l’ont pris au sérieux, exceptés Timoteo Maranga et Jose « Joego » Milan [17]. Finalement, Timoteo Maranga a nommé son propre système comme Super Cuentada [1] [7]. Rodrigo Maranga se souvient des paroles de Anciong Bacon à propos du système de son père :
« Tout ce je connais, je l’ai transmis à ton père, Timor, mais ce que ton père connait, moi-même je ne le connais pas… » Anciong Bacon
En Balintawak Eskrima l’accent était mis uniquement sur le combat rapproché. Toutefois, avec son expérience d’eskrimador testé à plusieurs reprises en combat de rue, Timoteo Maranga a développé également des techniques pour la distance longue. [8]
« Il n’y a aucun combat qui commence directement au combat rapproché. Un combat commence toujours à distance longue. Si vous n’avez pas de technique pour la longue portée, votre système est verrouillé. C’est pour cela que mon père a développé des techniques pour la distance longue » Rodrigo Maranga [8]
La méthode d’enseignement de Timoteo Maranga lui était singulière. Il n’avait pas de programme particulier. Il enseignait les bases puis se progresser vers les techniques supérieures. Plutôt que d’enseigner à des groupes d’élève, il préférait enseignait de manière individuelle, en cours privé. [2]
Rares sont ceux qui ont pu recevoir l’enseignement de GM Maranga, parmi eux Remy Presas, le fondateur du Modern Arnis qui a eu une brillante carrière aux Etats-Unis à partir des années 1970. [2] [4]
Combate Eskrima Maranga
Le Tres Personas Eskrima de Combate Super Kuwentada System est resté pendant plusieurs années secret, Timoteo Maranga n’ayant enseigné qu’à peu de personnes. Après sa mort en 1988, c’est son fils Rodrigo « Drigo » Maranga qui est devenu le leader de cet art martial. En 1998, Maestro Drigo et son fils, Roderick « Rico » Maranga, ont décidé de dévoiler au public leur système de combat familiale. Tres Personas est simplifié en CEM, Combate Eskrima Maranga à partir de 2000. [2]
Le logo du CEM présente trois lignes qui symbolisent la Trinité, en référence à l’ancien nom du système ; Tres Personas. Le blanc représente la pureté et la sérénité. Le cercle blanc est rempli de noir qui précise qu’il y a aussi un côté sombre malgré la pureté, malgré tout il unit toutes les personnes de ce clan. Le rouge symbolise le sang des Maranga ; isug (qui signifie courageux en cebuano), les leaders du CEM. Sous le logo, il est inscrit Combate Eskrima en alphabet latin, suivi de MA-RAN-GA écrit en alibata ou baybayin, l’écriture autochtone des Philippines. Enfin, la dernière ligne indique la localité où a été créé ce système, dans le quartier de Pasil, dans la vile de Cebu, aux Philippines. [18]
Dans la lignée des enseignements de Timor, le CEM se veut très combatif.
« Eskrima nga hitupngan pero dili hilabwan. »« L’Eskrima peut être égalé mais jamais surpassé. »
Les principaux concepts et principes de ce système sont [2] :
- Celui qui frappe sera frappé, celui qui donne une attaque sera touché.
- N’attaquez et ne combattez jamais lorsque vous êtes en colère.
- La meilleure défense est la meilleure attaque et inversement.
- Autant que possible, ne permettez pas à votre adversaire de vous toucher.
- Désarmer immédiatement.
- N’utilisez aucune technique de force contre force.
- Soyez toujours en position armée, prêt à défendre et à attaquer.
Le Combate Eskrima Maranga utilise le bâton simple, la dague, la longue épée (pinuti). Timoteo Maranga n’enseignait pas les doubles bâtons pour le combat mais seulement pour l’échauffement et la coordination des membres. L’usage des doubles bâtons est une forme de danse en Eskrima dont l’origine est une danse indigène appelée sakuting et sinawali. [2]
Le CEM est similaire au Balintawak Eskrima dans de nombreux points, mais il a aussi ses propres particularités qui rendent ce système unique. Par exemple, le CEM utilise la même « candlestick defense » (la défense de « la bougie » avec le bâton tenu à la verticale) que le Balintawak Eskrima. Cependant, il possède 30 angles d’attaque et aussi un ensemble de plusieurs techniques complexe de trapping qui diffèrent du Balintawak Eskrima. [4]
Le Combate Eskrima Maranga se différencie également du Balintawak Eskrima par l’utilisation de techniques à distance longue. Le Balintawak est un système de combat rapproché uniquement. Pourtant, il est vraiment important de connaître les deux distances, longue et courte, car un combat commence toujours à longue distance et peut se terminer à distance courte. [2]
En résumé, le Combate Eskrima Maranga est un système d’auto-défense efficace et réaliste. Il utilise des techniques à distance longue et courte. Hormis les coups portés avec l’arme utilisée, les attaques sont aussi portées par le reste du corps ; pied, poing, coude, tête… une particularité supplémentaire du CEM est l’entrainement à de multiples désarmements qui permettent d’acquérir souvent un contrôle de la situation sans blesser gravement l’adversaire. Le Combate Eskrima Maranga peut s’avérer complémentaire pour un pratiquant d’arts martiaux à mains-nues voulant se diversifier avec le maniement des armes.
Cela a d’ailleurs été mon parcours. Tout d’abord, pratiquant de Wing Chun, un système d’auto-défense à mains-nues, puis par la suite, pratiquant d’Eskrima. De plus, le CEM présente des principes et concepts tout à fait similaires au Wing Chun, ce qui rend ce système très appréciable pour des pratiquants de Wing Chun. Je plaisante souvent avec mes élèves en leur disant que si GM Yip Man avait manié le bâton ou la machette, cela aurait certainement ressemblé au Combate Eskrima Maranga.
Je suis particulièrement fier de pratiquer ce formidable art martial et je donne mon meilleur pour le transmettre à mes élèves, fidèlement aux enseignements que j’ai reçu de la famille Maranga.
Longue vie au CEM et aux arts martiaux philippins !! Combate !!
Sources
[1] http://maranga.byethost5.com/grand-master-timoteo-maranga/
[2] Interview de Maestro Rodrigo Maranga par David Foggie dans www.blitzmag.com (consulté en 2012)
[3] Black Belt, octobre 1998, p14, Rainbow Publications
[4] Black Belt, février 1999, p26, Rainbow Publications
[5] Eskrimadors, GO Kerwin, Pointsource Film, 2010
[6] The Secrets of Kalis Ilustrisimo : The Filipino fighting Art Explained, DIEGO Antonio et RICKETTS Christopher, TURTLE PUBLISHING, 2002 (consulté sur book.google.fr)
[7] Voices of Masters : Warrior Arts of the Philippines, P. HUFANA Myrlino, Golden Elixir Productions et M&M Production, 2010
[8] The History of Combate Eskrima Maranaga > https://vimeo.com/36314557
[9] www.nickelstickeskrima.com/history/about_balintawak.htm
[10] atillobalintawak.com/history/
[11] Filipino Martial Arts and The Construction of Filipino National Identity (Thesis), GONZALES Rey Carlo Tan, p81, University of Manchester, U-K, 2015
[12] www.balintawak.co.uk/information/balintawak-escrima.html
[13] www.tabiminabalintawak.com/about/history
[14] www.internationalbalintawak.com/2016-04-04-17-56-21/balintawak-history.html
[15] Timor Maranga Sr. Tribute, CEM > https://www.youtube.com/watch?v=pmHACmqdZpA
[16] https://www.rvabalintawak.com/venancio-anciong-bacon?fbclid=IwAR1tcTw3W8DBWv3fvNhpiAgfEIYP1p5UNHUIYrBtBkMjEbK6qS6A9A0IcK4
[17] http://www.quick-stick.de/html/bacon__venancio.html
[18] Facebook de Roderick Echivarre Maranga
[19] http://www.maranga.8m.net/custom.html
Excellents articles !!
Merci Olivier ! J’espère que ta rencontre avec les Maranga s’est bien passée. J’ai hâte que tu me racontes 😉