Dans ce premier article sur les arts martiaux philippins, ou FMA (Filipino Martial Arts), je vais m’intéresser à la terminologie.
Les arts martiaux philippins sont d’une très grande variété. Il existe de nombreux styles. Ils sont axés principalement sur le maniement des armes ; en particulier sur le bâton court qui peut être assimilé à une épée, type machette. Toutefois les FMA se diversifient également, selon les styles, par le maniement du couteau, des doubles bâtons, du bâton long, des nunchaku (appelé tabak toyok en tagalog) … et aussi par le combat à mains nues. L’approche philippine des arts martiaux armés est pragmatique et sans artifice. Là où certaines disciplines de maniement d’armes mettent l’accent sur les exercices individuels et délaissent trop souvent la pratique avec un partenaire, les arts martiaux philippins, au contraire, se centrent davantage sur la confrontation directe. Le travail se fait principalement avec le partenaire lors « d’échanges » de bâton.
Depuis quelques années, les FMA sont de plus en plus populaires grâce notamment à certains films comme Traqué, la série The Dark Knight ou encore la série Jason Bourne. En France, les arts martiaux philippins se développent aussi grâce aux efforts de certains pionniers comme, Fabien Jolivel, auprès des fédérations officielles. Je salue également les personnes ayant contribué à faire venir des Maîtres philippins pour dispenser des stages et des démonstrations. Ayant moi-même essayé, je connais les lourdeurs des procédures administratives françaises et européennes pour faire venir un Maître philippin en Europe ! A vrai dire, il est bien plus facile de partir rencontrer les Maîtres de FMA aux Philippines. J’ai la chance d’avoir vécu cette expérience et je suis particulièrement fier de suivre l’enseignement de Maestro Rodrigo Maranga aux Philippines.
Les arts martiaux philippins : Arnis, Eskrima et Kali
Arnis, Eskrima et Kali sont les 3 termes les plus couramment utilisés pour désigner les arts martiaux philippins avec armes. Ces termes ne représentent pas un art martial spécifique. Ce sont des noms génériques, comme Kung Fu, Karate ou Jujutsu, qui n’indiquent pas un style en particulier. Le terme Silat est un nom également générique utilisé pour désigner certains arts martiaux du sud-est asiatique en Indonésie, Malaisie mais aussi en dans le sud des Philippines.
Arnis, Eskrima ou Kali : l’appellation utilisée dépend généralement du lieu d’origine de l’art martial aux Philippines.
L’appellation utilisée dépend généralement du lieu d’origine de l’art martial aux Philippines. Du 16ème au 19ème siècle, la colonisation espagnole a profondément marqué le nord et le centre des Philippines. L’influence espagnole a cependant été moins présente dans le sud des Philippines car les conquistadors ont eu du mal à s’implanter durablement sur l’île de Mindanao.
Arnis et Eskrima, l’influence espagnole
Dans les régions du nord et du centre, ce sont donc les termes d’origine espagnole qui sont les plus utilisés : Arnis pour Luzon et Eskrima pour les Visayas.
Arnis est un mot tagalog dérivé d’un vieux mot espagnol arnes qui signifie « armure ». Le terme dans son intégralité se dit Arnis de mano, il fait référence au protège-main porté par les danseurs/acteurs des pièces de théâtre moro-moro. Les conquistadors espagnols ont instauré ces moro-moro dès le 17ème siècle. Ces pièces de théâtre avaient pour thématique les armées chrétiennes philippines qui affrontaient les armées des musulmans (les Maures ou Moros) vivant dans le sud des Philippines. Les acteurs reproduisaient sous forme de danse des techniques martiales indigènes avec des gantelets décorés, d’où le nom Arnis de mano, « la main protégée/harnachée »[1].
Esrkima vient de l’espagnol esgrima qui signifie « escrime ». La colonisation espagnole n’a pas seulement influencé la terminologie, elle a aussi conditionné la pratique des arts martiaux philippins. Elle s’est étendue sur plusieurs siècles par un processus d’évolution où les techniques espagnoles se sont mélangées avec les techniques philippines indigènes locales pour donner naissance aux arts martiaux philippins actuels. On en trouve encore aujourd’hui les traces avec la pratique très répandue de l’Espada y daga dans les FMA ; héritage direct de l’utilisation de la rapière et de la dague dans l’Europe du 17ème siècle.
A noter que le terme Escrima (écrit donc avec un c au lieu d’un k) existe aussi. Cette orthographe est utilisée pour certains FMA développés aux Etats-Unis, comme le Cabales Serrada Escrima.
Toutefois, il y a toujours l’exception qui confirme la règle, et l’on trouve des styles de FMA dans la région des Visayas portant le nom de Arnis ou de Kali au lieu de Eskrima. Par exemple, à Cebu, on trouve le Lapunti Arnis de Abanico et sur l’île de Negros, le Kali Pekiti Tirsia.
Kali et Silat, les racines des arts martiaux du sud-est asiatique
En ce qui concerne le terme Kali, il est moins utilisé au Philippines. Il est par contre beaucoup plus populaire dans d’autres pays. On trouve par exemple aux États-Unis le Lacoste Inosanto Kali et le Sayoc Kali. Le terme Kali n’est pas d’origine espagnole contrairement à Arnis ou Eskrima. Il provient peut-être des épées nommées Kalis qui sont une version du sud des Philippines des kriss que l’on trouve dans les pays du sud-est asiatique comme la Malaisie et l’Indonésie. Une autre hypothèse suggère que Kali provienne de la contraction des mots cebuano Kamot/Kamay qui signifie « main » et Lihok qui signifie « mouvement »[2].
Concernant le terme Silat, la théorie la plus rependue prétend que le terme provient du mot malais Sekilat qui signifie « aussi rapide que l’éclair »[3]. Silat est un terme générique qui désigne les arts martiaux pratiqués dans les pays musulmans du sud-est asiatique, en particulier en Malaisie et en Indonésie. Pour les arts exclusivement indonésiens, on utilise le terme Pencak Silat. Cet art martial est très diversifié et inclus autant les techniques à mains nues que le maniement des armes. Le Silat est pratiqué également dans les pays du sud-est asiatiques où il existe des communautés musulmanes. C’est le cas pour le sud des Philippines. En effet, durant la période coloniale espagnole, les îles de l’extrême sud-ouest des Philippines, et une partie de Mindanao, ont été sous le contrôle du sultanat de Sulu. L’Islam a donc été fortement implanté dans le sud de l’archipel. Les conquistadors espagnols ont appelé les communautés musulmanes philippines, les Maures (Moros). Le Silat a donc très vraisemblablement influencé les systèmes indigènes locaux du sud des Philippines.
Les Philippines ont toujours été un pays propice aux échanges commerciaux et culturels en Asie. De nombreuses communautés s’y sont installées et ont échangé avec les philippins. La richesse des arts martiaux philippins vient également de cette capacité à absorber les techniques et concepts d’arts martiaux étrangers pour les combiner aux arts martiaux locaux.
Sources
[1] The Bladed Hand : The Global Impact of the Filipino Martial Arts, IGNACIO Jay, Olisi Films, 2011 et Nouvelle Encyclopédie des arts martiaux d’Extrëme-Orient – Technique, historique, biographie et culturelle, HABERSETZER Roland et Gabrielle, AMPHORA, 2012 et britanica.com
[2] World of Martial Arts ! HILL Robert, LULU PUBLISHING, 2008 et The Bladed Hand : The Global Impact of the Filipino Martial Arts, IGNACIO Jay, Olisi Films, 2011
[3] Shadow of the Profet : Martial Arts and Sufi Mysticism, p29, D.S. FARRER, SPRINGER, 2009