Cadena de Mano : l’art philippin du combat à mains nues et au couteau


J’ai longtemps hésité à écrire un article sur le Cadena de Mano (souvent écrit Kadena de Mano) car il existe peu de sources sur cet art.

Je pratique le Cadena de Mano depuis plus de 15 ans et je l’ai appris par le Latosa Eskrima qui regroupe plusieurs système d’arts martiaux philippins (FMA), principalement ; le Cabales Serrada Escrima, le Larga Mano Giron Escrima et le Cadena de Mano (ou Sarmiento Kadena de Mano) [1]. Le Latosa Escrima a été largement diffusé en Europe de l’Ouest à partir de la fin des années 1970, au sein des écoles rattachées à l’EWTO (European Wing Tsun Organisation) en parallèle de l’enseignement du Wing Tsun. J’ai abordé cela dans l’article sur le Cabales Serrada Escrima.

Photo de gauche : (de gauche à droite) Bill Newman, Keith Kernspecht, Leung Ting, Rene Latosa. Photo de droite : Rene Latosa. Source : Escrima, p6 et p77, 1979 [2]

« Le Cadena de Mano est un système unique, c’est l’actuel transition du bâton au combat à mains nues. »

Rene Latosa [3]

Cadena de Mano, qui se se traduit littéralement par chaîne de mains,  est un terme générique qui est utilisé par plusieurs styles de FMA pour désigner le plus souvent, une pratique du combat à mains nues, accès sur des techniques de percussions, de trapping et de verrouillage (clés). Le Cadena de Mano que je pratique, appelé aussi Sarmiento Kadena de Mano, est une combinaison de techniques à mains nues et au couteau.

 

Max Sarmiento, un des précurseurs du développement des arts martiaux philippins au États-Unis

Le Cadena de Mano de Max Sarmiento (1929-1982) est un système de combat philippin, à mains nues et au couteau, provenant de la famille Sarmiento. On connait très peu de chose sur Max Sarmiento. Tout ce que l’on connait provient du témoignage de ses élèves directs comme Mike Inay ou René Latosa.

Max Sarmiento a été Marines et a participé à la guerre de Corée. Il s’est ensuite installé à Stockton en Californie et a fait partie des premiers Maîtres philippins, comme Angel Cabales et Leo Giron, qui ont mis leur pratique en commun, dans les années 1960. [4]

Groupe d’entrainement à Stockton, dans les années 1970. Debout : Angel Cabales et Max Sarmiento. A genou : Jimmy Tacosa, Remy Estrella et Mike Inay.

Stockton était la plus grande communauté philippine en dehors des Philippines, avec une première génération de philippins, appelés les Manongs, arrivés dans les années 1920 et 1930. Max Sarmiento a joué un rôle déterminant pour obtenir l’approbation des anciens Manongs de Stockton, afin qu’Angel Cabales enseigne ouvertement les arts martiaux philippins aux non-Philippins. [5]

D’après Mike Inay, en 1965, Max Sarmiento était employé comme directeur du Dépôt de la Défense près de Stockton. Un jour, des ouvriers pratiquaient le Karate pendant leur pause déjeuner et l’un d’eux a attaqué Max en plaisantant alors qu’il passait par là. Max s’est défendu rapidement et efficacement en utilisant son Cadena de Mano. Les élèves de Karate ont été étonnés de la facilité avec laquelle Max se défendait et ils ont demandé à Max de leur enseigner son style. Max a reçu la permission de mettre les choses en place, alors il a convaincu Angel Cabales d’ouvrir une école d’arts martiaux philippins. L’école d’Angel Cabales, ouverte avec l’aide de Max Sarmiento, est considérée comme la première école d’arts martiaux philippins aux États-Unis. [5]

En 1979, Max Sarmiento a fondé la West Coast Eskrima Society avec Mike Inay, un de ses élèves, afin de préserver et promouvoir les arts martiaux philippins aux États-Unis. Plusieurs Maîtres philippins ont rejoint cette organisation comme Sam Tendencia, Dentoy Revillar, Gilbert Tenio, Leo Giron, Richard Bustillo, Narrie Babao ou encore Dan Inosanto. [6]

« Max Sarmiento m’a appris à utiliser correctement les techniques à mains nues d’escrima et à apprécier tous les systèmes d’escrima. Je le considère adepte particulièrement des attaques à mains nues, aux couteaux et aux contre-attaques sur bâton. »

Dan Inosanto [7]

Jimmy Tacosa et Max Sarmiento pratiquant le Cadena de Mano

Le Inayan Eskrima créé par Mike Inay tire ses influences principales du Cadena de Mano, ainsi que du Cabales Serrada Escrima. Mike Inay a promu son système aux États-Unis et également en Europe dans les années 1990. [8]

 

Cadena de Mano, la chaîne de mains

Le travail principal en Cadena de Mano consiste à effectuer différents cycles de Hubud Lubud, un terme tagalog (un des dialectes philippins) que l’on peut traduire par « nouer et dénouer ». Ce type d’exercice coopératif entre partenaires permet de travailler une continuité de mouvements défensifs face à une attaque donnée.

Les Hubud Lubud, ou plus couramment abrégés en Hubud, consistent à effectuer des enchainements de techniques dans une grande répétition. Comme pour les différents drill de sinawali, les hubud permettent également de faire un focus sur la coordination et le timing. A tour de rôle les partenaires sont soit attaquant soit défenseur et répètent de manière cyclique les mêmes mouvements. Différents hubud peuvent s’enchainer et se combiner les uns avec les autres, le tout créant un flow harmonieux.

Les hubud peuvent se pratiquer avec des armes (bâtons, couteaux) ou à mains nues.

Hubud réalisé à mains nues. Source : FMA Pulse (cliquer sur l’image pour lire la vidéo).

« Hubud pourrait être décrite comme une sœur du Chi Sau »

Terry Gibson, instructeur de JKD et de Kali [9]

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« Quelques exemples d’exercices de combat coopératifs sont l’exercice philippin ‘Hubud’, le ‘Chi Sau’ du Wing Chun et le ‘Pelampas’ du Silat. Beaucoup de ces exercices intègrent les contrôles, le trapping, les blocages et les frappes, qui sont tous exécutés à courte portée. »

Chad McBroom, instructeur de Close Combat [10]

Les Hubud sont construits selon un enchaînement de techniques, que l’on nomme en anglais ;  block, parry, check.

Face à une attaque donnée, le défenseur reçoit l’attaque et utilise un blocage (block). Ce mouvement défensif n’est pas dur et statique, il constitue plutôt un premier contact suivi d’une redirection immédiate (parry ou pass). Ce mouvement de redirection vise à écarter l’attaque de sa trajectoire. Ensuite vient le mouvement de contrôle (check), effectué souvent avec la paume de la main (type paak sau en Wing Chun) ou une saisie en forme de C. Puis le défenseur devient à son tour attaquant et lance une attaque sur son partenaire qui est amené à répéter le même cycle défensif.

L’enchainement block, parry, check est le plus souvent utilisé, mais certains hubud sont construits différemment. Par exemple, lors des hubud pratiqués avec un couteau, il peut être inséré des coupes (cut). Voir la vidéo ci-dessous, Mike Inay y présente le premier drill, hubud, du Kadena De Mano.

 

L’entrainement au hubud lubud constitue une base importante en Cadena de Mano pour acquérir le bagage technique nécessaire et de bons réflexes moteurs. En parallèle, des mises en situation permettent de réinvestir les techniques apprises en les confrontant dans des attaques à pleine puissance et haute vitesse.

 

Le Cadena de Mano est entraîné essentiellement pour le combat à mains nues et le combat au couteau (ou tout autre arme courte). La coordination des mouvements est identique que l’on soit armé ou pas ce qui rend ce système très adaptable. L’approche du combat à mains nues du Cadena de Mano est très similaire aux principes et techniques utilisés dans les différentes méthodes de Panantukan, la boxe philippine.

« Il [Cadena de Mano] peut être pratiqué à mains nues, au couteau, au couteau contre couteau… tout ce que vous pouvez saisir pour vous défendre ou pour attaquer sur votre adversaire. »

Tony Somera (Giron system) [11]

Pour ma part, en temps que pratiquant de Wing Chun focalisé sur le combat à mains nues, j’ai appris le Cadena de Mano précisément pour le combat au couteau contre couteau et couteau contre mains nues.

Concernant le combat au couteau, versus mains nues ou versus couteau, je mesure la complexité et l’extrême dangerosité d’une telle situation. Défendre un agresseur armé d’un couteau est une des situations les plus difficiles en self-defense et il sera toujours préférable de prendre la fuite que d’avoir à faire face à l’agresseur. En  self-defense, il ne s’agit pas d’héroïsme mais de survie. Je tiens ce discours à tous les élèves à qui j’enseigne le combat au couteau.

Contrairement à la théorie, rien ne fonctionne à 100% en réalité. Et une simple petite entaille au couteau peut être mortelle.

Il faut partir du principe que les chances de survie sont très minces face à un agresseur armé d’un couteau. Un bon entraînement à ce genre de situation permet d’augmenter ses chances de survie dans les situations où la fuite n’est pas possible. Voir mon article sur la situation de l’ascenseur à ce sujet.

Lorsqu’on parle d’une agression avec un couteau, il faut différencier deux types de situation, les menaces et les attaques :

  • Les menaces sont les situations où l’agresseur pose le couteau sur sa victime, souvent joint d’une saisie, pour l’intimider et obtenir quelque chose d’elle. Ce sont des agressions statiques, il n’y a pas d’attaque avec du mouvement.
  • Les attaques sont les situations où l’agresseur s’est engagé dans une attaque avec mouvement avec l’intention de perforer/piquer ou couper sa victime.
A gauche, une situation de menace au couteau. A droite, une situation d’attaque au couteau.

Les menaces sont plus défendables que les attaques. Même si pour cela il faut faire preuve d’un incroyable sang froid et maîtriser sa technique à la perfection. Les attaques, au contraire, sont très difficiles à défendre. D’autant plus que parfois/souvent on ne les voit pas venir. Un de mes frères d’armes qui a été agent de sécurité en boite de nuit s’est un jour fait poignarder dans le dos lors d’une mêlée, il n’a rien vu arriver, heureusement pour lui, il s’en est sorti.

Les FMA permettent de prendre conscience à quel point ces attaques sont difficiles à défendre. Il faut bien faire la différence entre les attaques uniques téléphonées et connues à l’avance travaillées à l’entraînement, où là, n’importe quel pratiquant un peu expérimenté peut faire quelque chose selon les techniques de son style et la réalité qui peut être bien plus sournoise avec des attaques tous azimuts à répétition, imprévisibles et insaisissables… « bon chance ! »

Il est nécessaire à l’entrainement de réinvestir ce type de comportement de la part de l’attaquant, pour se rendre compte à quel point il est difficile de se sortir indemne d’une telle situation.

Attaque téléphonée, digne d’un amateur…😁🔪. Source : Scream, de Wes Craven, 1996.

Source

[1] FMA pulse interview et  latosa-escrima.com

[2] Escrima, p6 et p77, LATOSA Rene et NEWMAN Bill, Wu Shu-Verlag Kernspecht, 1979

[3] interview Rene Latosa

[4] Filipino Martial Arts, Cabales Serrada Escrima, p27-28, WILLEY Mark. V, Charles E. , Tuttle Pubilshing Co. , 1994

[5] Filipino Martial Arts, Digests, Ray Terry interview, special edition 2008

[6] www.inayanpgh.com

[7] The Filipino Martial Arts as taught by Dan Inosanto, p19, INOSANTO Dan, Know Now Publishing Compagny, 1980

[8] www.inayan.com

[9] Black Belt, février 1988, p60, Rainbow Publications

[10] Solving the Enigma: Insights Into Fighting Models, McBROOM Chad, ed. Lulu.com, 2016

[11] introduction Giron Escrima vol-2 Cadena de Mano par Tony Somera


 

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