Suis-je prêt.e à me défendre avec ma tenue de tous les jours ?


S’intéresser à l’auto-défense (ou self-defense, voir mon précédent article pour la terminologie) implique plusieurs axes de développement. D’une part, développer des qualités physiques (compétences techniques, condition physique… ) et psychiques (gestion des émotions et du stress, renforcement du mental…), et d’autre part, développer des habitudes et un comportement au quotidien qui permettent, au mieux d’éviter toute situation d’agression, ou au pire d’y faire face le plus efficacement possible.

Choisir les vêtements que l’on porte fait partie de ces habitudes du quotidien. Chacun.e s’habille comme il/elle le souhaite, les vêtements  que nous portons sont aussi un moyen d’exprimer notre personnalité. Dans le cas où l’on exerce une activité professionnelle qui implique de porter une tenue bien précise, la question du choix ne semble pas se poser. Toutefois, que l’on soit libre ou non de porter les vêtements que l’on souhaite, une personne qui s’intéresse à l’auto-défense doit garder à l’esprit que dans le cas d’une situation d’agression les vêtements que l’on porte peuvent peser dans la balance de manière positive ou négative pour l’issue de la confrontation.

 

Une digression à propos des tenues d’arts martiaux

Avant de poursuivre avec cette thématique, j’aimerais faire un détour sur les tenues d’arts martiaux. Du kimono du Judo, en passant par le rashguard du MMA, jusqu’au abadá de la Capoeira, les vêtements portés par les pratiquants d’arts martiaux ou des sports de combat semblent être spécifiques aux techniques martiales utilisées. Toutefois, la plus part des tenues des arts martiaux traditionnels proviennent des vêtements qui étaient portés dans d’autres époques, plus ou moins lointaines, et qui n’étaient pas des vêtements destinés spécifiquement à une pratique martiale.

Dans les arts martiaux japonais, on porte le keikogi 稽古着, communément appelé le kimono 着物, et on ajoute parfois le hakama dans certaines disciplines comme l’Aikido ou le Kendo par exemple. Ces vêtements ne sont pas à l’origine des vêtements d’entrainement, mais des vêtements de la vie de tous les jours que portaient les japonais dans l’époque féodale. Le kimono était le vêtement le plus commun et le hakama était porté par les samouraïs dont certains arts martiaux japonais sont les héritiers directs.

Il en est de même pour la plus part des arts martiaux chinois. Pour le Wing Chun dans l’ancien temps, il n’y avait pas vraiment de tenue d’entrainement spécifique. Ip Man a sans doute été le premier à instaurer un code vestimentaire que beaucoup de pratiquants respectent encore aujourd’hui. Le plus souvent, ses élèves portaient un t-shirt blanc et un pantalon noir. Ip Man lui avait pour habitude de porter un tangzhuang ; une veste popularisée à l’époque des Qing que portait la plus part des hommes dans la société. Sur la photo ci-dessous, les élèves avancés de Ip Man, assis à ses côtés selon la tradition, portaient également le tangzhuang.

Je consacrerai un article plus détaillé sur les tenues portées par les pratiquants de Wing Chun.

Groupe de Ip Man au début des années 1950 à Honk Kong. De la gauche vers la droite au premier rang : Lok Yiu, Leung Sheung, Ip Man et Yip Bo Ching.

Aux Philippines, les pratiquants de FMA portent parfois des tenues traditionnelles d’origines philippines ou des tenues d’inspiration japonaise de type kimono. D’autres au contraire ne portent aucun vêtement en particulier. Lorsque je pratiquais avec Maestro Rodrigo Maranga, il portait la plus part du temps un short type baggy, un t-shirt avec le logo du CEM, son style d’Esrkima, et des baskets car nous pratiquions sur un sol dur.

Par ailleurs, certains systèmes plus modernes comme le Krav Maga ou le Jeet Kune Do préconisent souvent une tenue sportive adéquate, type sportswear (pantalon et t-shirt/sweat-shirt), permettant la mobilité et l’aisance de mouvement. D’autre encourage aussi la pratique en « tenue de tous les jours » , habillé en jean par exemple, vêtement unisexe qui représente assez bien la tenue lambda portée par Monsieur et Madame Tout-Le-Monde et qui rejoint donc la question initiale de cet article.

Salvatore Olivia démontre une technique de Jeet Kune Do, habillé en t-shirt, jean et baskets. Source : Festival des arts martiaux Paris-Bercy 2009

 

Quels sont les critères d’un choix de vêtement …

La plupart d’entre nous choisissons nos vêtements en fonction de critères qui nous sont propres et selon l’usage que nous voulons faire de nos vêtements. Les critères les plus souvent retenus sont le confort, la qualité, la résistance, la fonctionnalité, l’adaptabilité, l’esthétique du vêtement, le respect d’un code vestimentaire…

Lors d’une situation d’agression les deux réponses instinctives qui se présentent à nous pour faire face à cette menace sont le combat et la fuite. Une phase de communication peut avoir lieu en amont d’une de ces deux réponses mais si l’on doit combattre ou courir, mieux vaut avoir des vêtements adaptés pour le faire. Les auteurs de Protegor [1] donnent des précisions sur les critères de sélection d’un vêtement qui se décomposent en quatre caractéristiques : la technicité (thermorégulation, imperméabilité, isolation…) , l’aisance (confort, légèreté, bonne mobilité…), la résistance (qualité du vêtement, zone de renfort, solidité des coutures…) et le look (pour passer inaperçu et se sentir bien).

 

… en fonction du concept de l’auto-défense ?

Voici donc quelques conseils et astuces pour se vêtir dans la vie de tous les jours en ayant en tête que si nous devons faire face à une situation d’agression, les vêtements portés ne seront pas une contrainte mais un atout.

Aux pieds. Il convient tout d’abord d’avoir des chaussures qui permettent d’avoir une bonne tenue, stabilité, souplesse et protection que ce soit pour combattre ou pour courir. Les chaussures peuvent servir d’outil de frappe en situation d’auto-défense et il est a priori difficile de faire un sprint en talon aiguille ou en tong ! Un ami à moi pratiquant de Wing Chun s’est retrouvé en difficulté lors d’un échange verbal tendu avec de potentiels agresseurs alors que lui portait aux pieds des crocs. Il s’est rendu compte sur le coup que si la situation dégénérée davantage il était dans l’incapacité de se défendre efficacement ni même de prendre la fuite. Heureusement pour lui, il a su résoudre ce conflit par la communication mais cette anecdote lui a bien servi de leçon.  Pour ma part, il m’arrive de porter des chaussures légères l’été (type tong) uniquement si je suis non loin de chez moi, en « territoire connu », ou à la plage. Lorsque je dois faire une distance plus longue en ville, je mets des chaussures adéquates.

Aux jambes. Il faut un vêtement qui permette de se mouvoir facilement. Je veille toujours à ce que je puisse exercer mes mouvements et être sûr d’avoir suffisamment d’aisance avant d’acheter un pantalon. Je teste donc systématiquement mes coups de pied, coups de genou et postures basses dans les cabines d’essayage car je trouve qu’il serait vraiment regrettable qu’un pratiquant d’arts martiaux ne puissent pas utiliser telle ou telle technique à cause de vêtement l’empêchant de se mouvoir correctement.

Une ceinture peut s’avérer être également un bon accessoire selon la situation. Une ceinture en cuir avec une boucle en métal peut  devenir une arme de défense intéressante pour maintenir un agresseur à distance en la faisant tournoyer dans les airs ou en forme de 8 devant soit. Bien sûr, encore faut-il avoir le temps pour l’extraire du pantalon, l’espace pour l’utiliser et veiller à ne pas perdre son froc ! 

Au haut du corps. Comme pour les jambes, la priorité est de se mouvoir facilement. C’est à dire être capable de faire des gestes de grande amplitude sans être gêné par le vêtement. De manière générale, les vêtements ayant des poches avec fermeture sont préconisés. Les fermetures éclairs sont  les plus adaptés, à défaut des boutons ou pressions sont utiles également, tout d’abord pour protéger vos papiers, vos clés, votre téléphone… il est plus difficile pour un pickpocket d’accéder à des poches lorsqu’elles sont fermées, encore mieux s’il s’agit de poches internes, comme à l’intérieur d’une veste. D’autre part, si on est amené à faire des mouvements particuliers de grandes amplitudes (courses, saut, roulade, mouvement au sol…) cela permet de ne pas perdre ces objets de valeurs.

Au cou. Il faut être vigilant aux accessoires qui dépassent et pendent…  porter une cravate peut être un désavantage dans une rixe car elle peut être saisie facilement. Il est préférable de l’enlever en zone de méfiance. Il en va de même pour les colliers et les pendentifs longs, ils peuvent être introduits sous un vêtement le cas échéant.

Les adeptes de Silat apprécieront les écharpes ou foulards qui peuvent s’avérer utiles en situation d’auto-défense. Néanmoins les techniques utilisées avec ce type d’accessoire ne sont pas à la portée de tous, un entrainement adéquate et régulier est nécessaire pour réaliser des actions efficientes.

Au visage et à la tête. Chapeau, capuche, lunettes de soleil, peuvent être interessants si l’on a besoin de camoufler son visage ou d’éviter de croiser le regard d’une personne malveillante.

A ce propos, Rory Miller a mis en évidence qu’une situation d’agression dans la rue se décline par un rituel de domination avec des étapes bien spécifiques, qu’il nomme grossièrement Monkey Dance (la danse du singe). La première de ces étapes est le contact visuel (souvent agressive) et en effet camoufler son regard avec un accessoire peut être un bon atout dans la jungle urbaine. Les autres étapes sont le contact/défi verbal, le rapprochement physique, le premier contact physique (pointage de l’index, poussée du torse, saisie du col…), qui amène à la dernière étape ; l’agression proprement dite, l’échange de coups. [2]

Je vous invite à visionner le clip vidéo La Bagarre, du rappeur Kamini qui est une bonne parodie de ce que peut être une Monkey Dance.

Pour les écouteurs dans les oreilles, je suis partagé. D’un côté ils permettent de mettre une certaine distance sociale car on osera moins aborder quelqu’un isolé avec sa musique dans les oreilles, et de ce point de vue, ils peuvent éviter le contact/défi verbal selon le rituel de la Monkey Dance. Mais d’un autre côté, les écouteurs abaissent forcement notre vigilance auditive et peut permettre à un prédateur de nous choisir nous plutôt qu’une autre personne.

Enfin pour les sacs, mieux vaut avoir les mains libres et donc d’éviter les sacs à main, de privilégier plutôt les sacs à dos ou à défaut les sacs en bandoulière (non idéales toutefois car si l’on doit faire des mouvements de grande amplitude cela peut générer un déséquilibre, surtout si la charge est lourde).

 

Le concept du Grey Man

Le Grey Man, « l’homme gris » ou « l’homme caméléon » est un concept d’attitude et de comportement visant à la discrétion. Devenir une personne quelconque, transparente au sein d’une foule, en utilisant une tenue de colorimétrie plutôt neutre (grise, noire). Cela implique d’éviter les vêtements attirants l’attention, incitant à la méfiance et l’appartenance à un groupe. [3]

Matt Damon incarne Jason Bourne, ex-agent de la CIA en fuite qui adopte le concept du Grey Man pour se fondre dans la foule. Tout comme le personnage de Nicky Parsons, incarnée par Julia Stiles, ici donc en « Grey Woman ». Jason Bourne de Paul Greengrass, 2016.

Le concept du Grey Man peut apparaître très limitant concernant l’esthétique et la liberté vestimentaire. C’est un concept interessant mais chacun doit le nuancer selon ses aspirations et ses convictions personnelles. Pour un adepte de l’auto-défense, il convient de savoir s’adapter et avoir conscience que la violence se produit toujours dans un lieu spécifique, à un moment précis et entre des personnes. [4]

Il faut être conscient de ce que nous pouvons faire ou pas avec les vêtements que l’on porte. C’est primordial pour un pratiquant d’arts martiaux sensibilisé à l’auto-défense.

 

Dans cet article, je n’ai volontairement pas fait de distinction entre les vêtements féminins et masculins. Chacun.e saura se reconnaitre. Chacun.e s’interessant à l’auto-défense ajuste sa façon de se vêtir selon ses convictions et ses préoccupations. Aucune tenue vestimentaire ne justifie d’être agresser, chacun.e est libre de se vêtir comme il/elle le souhaite. Toutefois, concernant l’auto-défense féminine, je vois encore régulièrement des vidéos/photos promotionnelles mises en scène où des femmes habillées de manière sexy se défendent remarquablement bien face à un agresseur tout autant stéréotypé. De mon point de vue, ces images mises en scène sont clichées, sexistes et aberrantes.

A gauche. Source : Self-Defense For Women, CAHILL Willy, Ohara publication, 1978. A droite. Source : (inconnu) vu sur Pinterest.

40 ans séparent ces deux photographies qui traitent de la même thématique ; l’auto-défense féminine. Les clichés ont la vie dure.

Ce genre d’images suscitent néanmoins ma curiosité et m’amènent à m’interroger :

Le port de la jupe est-il vecteur d’agression ? Les femmes « non-sexy » sont-elles à l’abri des agressions ? Faut-il être sexy pour se défendre efficacement ?  Les chaussures à talon permettent-elles d’avoir une bonne stabilité pour lancer un coup de pied ou courir un sprint ? Est-ce si facile de garder son sang froid et de se défendre face à une menace inattendue ? …  Je pourrais pousser plus loin la dérision mais j’arrête ici avec mes questions ironiques.

 

En attendant, il est l’heure de faire du tri dans votre dressing !


Sources

[1] Protegor – Guide pratique de sécurité personnelle, self-défense et survie urbaine, p68, MOREL Guillaume et BOUAMMACHE Frédéric, AMPHORA, 2017

[2] Meditations on Violence, A Comparaison of Martial Arts Training & Real World Violence, p42, MILLER Rory, YMAA Publication Center, 2008 et Facing Violence – Preparing for the Unexpected, p26, MILLER Rory,  YMAA Publication Center, 2011

[3] Protegor – Guide pratique de sécurité personnelle, self-défense et survie urbaine, p71-72 et p367, MOREL Guillaume et BOUAMMACHE Frédéric, AMPHORA, 2017

[4] Meditations on Violence, A Comparaison of Martial Arts Training & Real World Violence, p72, MILLER Rory, YMAA Publication Center, 2008


 

1 commentaire

  1. un sac à main bien lesté peut être une bonne arme de défense, et ça donne de l’allonge. Mais évidemment ça peut aussi se retourner contre soi. Et les chevalières sont un tellement efficace remplaçant du coup de poing américain…. il faut y penser !

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