Le Jeu de la Mort : la folle histoire du film inachevé de Bruce Lee

 


Une fois n’est pas coutume dans ce blog, on va parler film. Et pour la première fois, l’article sera consacré entièrement à Bruce Lee, puisqu’il s’agit du Jeu de la Mort, le film inachevé de Bruce Lee. Pourquoi ce film plutôt qu’un autre ? Parce que l’histoire de ce film est complètement dingue et qu’il y a pas mal d’anecdotes qui méritent d’être connues.

Pour lire cet article, je vous propose de vous mettre dans l’ambiance en écoutant la bande originale du Jeu de la Mort. Le premier thème est une maquette proposée pour le film de Bruce Lee (version 1972). Les thèmes suivants ont été composés par John Barry pour Le Jeu de la Mort version 1978. Cliquez ci-dessous 👇

Le Jeu de la Mort version 1972

La genèse de ce projet prend naissance dans l’esprit de Bruce Lee, une fois le tournage de La Fureur du Dragon terminé, vers juillet 1972. On se souvient tous de ce combat final contre Chuck Norris dans le Colisée de Rome, le point culminant du film. Cette scène de combat devenue culte est encore citée plus de 50 ans plus tard.

Ce combat parfaitement orchestré par Bruce Lee exprimait la philosophie du Jeet Kune Do ; l’art martial qu’a crée Bruce Lee en 1967. D’abord dominé par Colt (le personnage qu’incarne Chuck Norris), Tang Lung ( interprété par Bruce Lee) change de stratégie pour s’adapter à son adversaire et le vaincre. L’idée générale du Jeu de la Mort (Game of Death en anglais) était de répéter ce procédé sur l’intégralité de tout un film. Le personnage de Hai Tien, joué par Bruce Lee, devait affronter des adversaires à tour de rôle avec l’aide de ses coéquipiers, tout en adaptant sa façon de combattre pour pouvoir les vaincre. Bruce Lee voulait un film avec une portée philosophique, en l’occurrence la philosophie de l’adaptation de son système de combat ; le Jeet Kune Do. [1]

« J’espère réaliser des films à plusieurs niveaux à Hong Kong. Le genre de films où l’on peut se contenter de regarder l’histoire en surface, mais où l’on peut aussi regarder plus en profondeur. » Bruce Lee [1]

Le projet initial de Game of Death version 1972 (GOD72), est l’histoire d’un groupe de 5 experts en arts martiaux recrutés pour récupérer un trésor nationale chinois volé et détenu dans une pagode à 5 niveaux en Corée du Sud. Chaque niveau de la pagode est gardé par un expert en arts martiaux qui doit être vaincu pour accéder au niveau suivant. A chaque niveau un des partenaires de Hai Tien est vaincu, car il ne peut pas se libérer de son style et s’adapter au combattant en face de lui. Hai Tien au contraire peut s’adapter au gardien de chaque étage et le vaincre. [1]

Croquis original de Bruce Lee de la pagode du Jeu de la Mort.

Pour ce qui est de la nature du trésor Bruce Lee n’avait pas d’idée précise de ce qu’il voulait représenter et ça n’avait pas vraiment d’importance pour le scénario. Il s’agissait plus d’un MacGuffin, à la manière d’un film d’Hitchcock, un élément moteur permettant le développement du scénario [2]. C’est la philosophie du film qui était importante aux yeux de Bruce Lee ; la capacité de l’homme à s’adapter à une problématique pour la résoudre. Dans GOD72, cette idée d’adaptation était représentée par les différents combats que devaient mener Hai Tien tout au long de son périple.

L’introduction du film telle que l’envisager Bruce Lee avait une portée symbolique qui devait donner le ton à tout le film. D’après ses propres paroles : « Ce que je veux montrer, c’est la nécessité de s’adapter aux circonstances changeantes. L’incapacité à s’adapter entraîne des destructions. Au début du film, le spectateur voit une vaste étendue de neige. Puis la caméra se rapproche d’une touffe de trèfles tandis que le bruit d’un fort coup de vent remplit l’écran. Au centre de l’écran se trouve un arbre gigantesque recouvert d’une épaisse couche de neige. Soudain, un grand bruit sec se fait entendre et une énorme branche de l’arbre tombe au sol. Elle ne peut pas céder à la force de la neige et se brise. La caméra se déplace ensuite vers un saule qui plie sous l’effet du vent. Parce qu’il s’adapte à l’environnement, le saule survit. Selon moi, c’est le genre de symbolisme que les films d’action chinois devraient s’efforcer d’avoir. J’espère ainsi élargir la portée des films d’action. » [1]

 

Pour son nouveau projet, Bruce Lee avait besoin d’un financement. Son producteur, Raymond Chow, le fondateur de la Golden Harvest, qui avait produit auparavant les 3 autres films dans lesquels avaient jouait Bruce Lee, se montrait réticent à financer GOD72. Pour faire réagir Chow, Bruce Lee eut un rendez-vous dans les studios de la Shaw Brothers, la compagnie adverse de la Golden Harvest, et fit des essais de costumes pour différents personnages. Les photos sont parus très vite dans la presse et Raymond Chow finit par financer le projet de peur que Bruce Lee aille voir ailleurs. [2]

1972, Bruce Lee faisant des essais de costumes dans le studio de la Shaw Brothers.

Le tournage de GOD72 commence dès la fin du mois d’août 1972, Bruce Lee décide de tourner les scènes de combat de la pagode des niveaux 3, 4 et 5, avant même d’avoir fini le script. Il profite d’une courte période de disponibilité de son élève Kareem Abdul Jabbar, le basketteur champion de la NBA, pour commencer le tournage [3]. Kareem et Bruce s’étaient rencontrer à Los Angeles en 1968, Bruce Lee avait tout de suite pressenti un potentiel cinématographique interessant avec Kareem Abdul Jabbar lui donnant la réplique : « Si je me bats contre un homme de plus d’un mètre quatre-vingt-dix, les fans chinois vont se régaler. » [3]. Kareem est le big boss du film, le gardien du 5ème niveau « le Temple de l’Inconnu ». [4]

De fin aout à octobre 1972, Bruce Lee tourna aussi les 3ème et 4ème niveaux de la pagode. Dan Inosanto, son élève et directeur de l’école de Jeet Kune Do de Los Angeles, expert en arts martiaux philippins, était le gardien du 3ème niveau, « le Temple du Tigre ». Ji Han Jae, un expert coréen d’Hapkido, gardait le 4ème niveau de la pagode « le Temple du dragon ». Bruce Lee et Ji Han Jae s’étaient rencontrés lors d’une démonstration d’arts martiaux aux Etats-Unis en 1969 [4]. Durant cette période de tournage des trois derniers niveaux de la pagode, deux autres acteurs tournent des scènes de combat aux côtés de Bruce Lee. Il s’agit de James Tien, un acteur de Hong Kong, qui avait déjà tourné avec Bruce Lee dans la Fureur de Vaincre et de Chieh Yuan, un cascadeur de Hong Kong. Les deux acteurs jouent le rôle de partenaire de Hai Tien, ce qui permet aussi d’apporter une pointe d’humour au milieu de violents combats d’action, un procédé qui avait déjà été utilisé dans La Fureur du Dragon. [5]

Comme pour son précédent film, La Fureur du Dragon, Bruce Lee s’engage pleinement dans son nouveau projet. Il est à la fois le réalisateur, le producteur (un d’entre eux), le chorégraphe, le scénariste, et il participe aussi à la mise en place des décors et de la lumière du plateau de tournage de GOD72. Bien entendu, il est le personnage principal du film. Bruce Lee est très exigent et n’hésite pas à refaire les prises encore et encore s’il estime qu’elles ne sont pas parfaites. Pour exemple, il a mis quatre jours de tournage pour réaliser une scène de combat d’à peine 5 minutes. [6]

Le tournage de GOD72 s’arrête en octobre 1972. Au final environ 90 minutes de rushes ont été tournés.

Sur le plateau de tournage du Jeu de la Mort. A gauche, Bruce Lee et Raymond Chow. A droite, une photo promotionnelle prise pour la presse, Bruce Lee, Kareem Abdul Jabbar et James Tien.
Bruce Lee, Chieh Yuan et James Tien.
Bruce Lee et Dan Inosanto.
Bruce Lee et Dan Inosanto, en plein tournage de la scène de combat aux nunchakus.
Bruce Lee et Ji Han Jae.
Bruce Lee et ses enfants, Shanon et Brandon, venant rendre visite à leur père sur le plateau de tournage du Jeu de la Mort.

Octobre 1972, Fred Weintraub le producteur de la Warner Bross vient annoncer une bonne nouvelle à Bruce Lee. Il sera la vedette de la première coproduction entre Hollywood et Hong Kong, pour le film Opération Dragon. Le tournage du Jeu de la Mort est mis en stand-by. [6]
 

Pour les deux premiers niveaux, plusieurs personnes avaient été évoquées. Tout d’abord, Wong Shun Leung, le Sihing de Bruce Lee, expert en Wing Chun, mais celui-ci déclina la proposition. Puis, James Coburn, l’acteur et élève privée de Bruce Lee, avec qui il avait déjà envisagé de faire un film d’arts martiaux aux Etats-Unis, The Silent Flute. Finalement, c’est Hwang In Shik, un expert en Hapkido, et Taky Kimura, son élève et directeur de l’école de Jeet Kune Do de Seattle qui furent retenus pour être, respectivement, les gardiens du 1er et 2ème niveau de la pagode. Hwang In Shik, qui avait déjà tourné avec Bruce Lee dans La Fureur du Dragon, devait incarner un expert en coups de pied. Taky Kimura, devait quant à lui jouer le rôle d’un expert en style de la Mante Religieuse. [4]

Entraînement à Hong Kong, Hwang In Shik et Bruce Lee.

L’entrée de la pagode devait être gardée par 10 hommes de main et Bolo Yeung devait être le chef du groupe.

Entrainement à Hong Kong avec les gardes de la pagode.
Bolo Yeung et Bruce Lee sur le tournage d’Opération Dragon en 1973.

Et la fameuse combinaison jaune et noire dans tout ça ?

D’après Andre Morgan, un des producteurs de GOD72, lorsque Bruce Lee est arrivé sur le plateau de tournage de GOD72, le service des costumes lui a proposé deux combinaisons, l’une jaune et l’autre noire. A la lecture du script, il est apparu plus opportun que Bruce Lee porte une combinaison jaune pour que l’on puisse voir l’emprunte de pied de Kareem Abdul Jabbar lors du combat final du 5ème niveau de la pagode. [7]

Bruce Lee avait eu l’idée d’une telle combinaison en s’inspirant d’une tenue de ski qu’il avait porté lors de vacances à Gstaad, en Suisse (février 1969) avec roman Polenski, son ami et élève privée. La combinaison jaune et noire de GOD72, n’est pas une tenue d’arts martiaux traditionnels, contrairement aux différents gardiens de la pagode, elle symbolise la vision moderne qu’avait Bruce Lee des arts martiaux qui colle à la philosophie de son Jeet Kune Do, le « style sans-style ». Elle lui procure aussi une liberté totale de mouvement. Le personnage qu’incarne Bruce Lee, Hai Tien, est capable de s’adapter à chacun des gardiens de la pagode, expert d’un style d’arts martiaux bien spécifique. Enfin pour le dénouement du film, le boss de fin joué par Kareem Abdul Jabbar, n’a pas de tenue particulière attachée à un style, tout comme Hai Tien, il représente aussi un combattant de « style sans-style ». Et de part la très grande différence de taille entre les deux personnages, ce combat permet une très bonne illustration de la philosophie du Jeet Kune Do ; l’adaptation totale à son adversaire. [8]

L’ascension de la pagode représente une allégorie du Jeet Kune Do, comme l’a écrit Eric Monsinjon, professeur d’Histoire des Arts. Les différents niveaux de la pagode constituent un parcours initiatique pour Hai Tien. Chaque épreuve réussie, lui permet de développer une connaissance supérieur de lui-même. Au dernier niveau de la pagode, il se confronte à son double, un adversaire « sans-style » tout comme lui mais qui ne peut accéder à la connaissance suprême, il reste dans les ténèbres (symbolisé par les lunettes de soleil et sa faiblesse face à la lumière). Hai Tien vainc le géant, le jeu est alors terminé et le véritable trésor de la pagode est révélé ; Hai Tien accède à la lumière divine ; la connaissance suprême de soi. [9]

Les combinaisons de ski de ce design, couleur unie avec une bande sur le côté, étaient très à la mode dans ces années là (fin 1960s, début 1970s). Bruce Lee s’en est directement inspiré pour sa tenue jaune et noire devenue célèbre dans Le Jeu de la Mort. Source : flickr.com

Une fois le tournage et le doublage d’Opération Dragon terminée, en juillet 1973, Bruce Lee envisageait de retravailler sur GOD72. Il devait pour cela continuer de peaufiner le script et de trouver un acteur de type occidental. C’est George Lazenby, un acteur australien, qui s’était fait connaitre pour le rôle de James Bond dans On Her Majesty’s Secret Service (1969), qui était pressenti pour ce rôle. George Lazenby était intéressé pour tourner avec Bruce Lee dès lors qu’il l’avait vu dans La Fureur de Vaincre.

Pour Bruce Lee et Raymond Chow s’était une chance d’avoir un acteur connu dans GOD72. Le soir de sa mort, le 20 juillet 1973, Bruce Lee devait dîner avec George Lazenby et Raymond Chow pour discuter de la participation de Lazenby dans le film. [10]

L’histoire de GOD72 s’arrête là. Avec la mort de Bruce Lee, le projet du Jeu de la Mort est laissé à l’abandon pendant quelques années. Les images déjà tournées par Bruce Lee seront pourtant exploitées dans un film de 1978 avec un tout nouveau script ; Le Jeu de la Mort (version 1978).

 

Le Jeu de la Mort version 1978

Raymond Chow, le principal producteur du Jeu de la Mort, était en possession des 90 minutes de rushes tournées en 1972. Pendant longtemps, il n’a pas été favorable pour utiliser le scènes déjà tournées en 1972, mais face à la forte pression (les photos promotionnelles de GOD72 avaient déjà été publiées dans la presse dès fin 1972) un tout nouveau script fut écrit de manière à pouvoir utiliser les scènes de combat de GOD72. Finalement, Raymond Chow engage, Robert Clouse, le réalisateur d’Opération Dragon pour réaliser ce nouveau Jeu de la Mort [11] et Sammo Hung, qui avait joué avec Bruce Lee dans la scène de combat d’introduction d’Opération Dragon, est engagé comme chorégraphe des scènes de combat.

Le Jeu de la Mort version 1978 (GOD78) représente certainement le summum des films de la « Bruceploitation » ; un sous-genre de film de Kung Fu qui prolifèrent dans les années 1970 après la mort de Bruce Lee, où de nombreux sosies jouent dans des films à petits budgets. GOD78 a quand même l’avantage de délivrées des scènes de combat tournées par Bruce Lee en 1972 et que le public n’a jamais vu auparavant.

Le plot de GOD78 : Billy Lo, un célèbre acteur de Hong Kong, est traqué par un mystérieux « syndicat » qui le force à travailler avec lui. Après plusieurs confrontations, le « syndicat » décide d’assassiner Billy Lo en lui tirant une balle dans la tête lors d’un tournage d’une scène de combat. Billy Lo survit, mais se fait passer pour mort, afin de pouvoir se venger du « syndicat ».

Affiche du Jeu de la Mort version 1978

GOD78 s’offre un casting respectable : Dean Jagger, joue le rôle de Dr Lang, le boss du « syndicat » et Hugh O’Brian, joue le rôle de Steiner, le n°2 du « syndicat ». Pour les hommes de mains du « syndicat », la production voulait intégrer les acteurs de GOD72 mais seul Dan Inosanto a accepté de prendre le rôle. Kareem Abdul Jabbar, qui a refusé de participer à GOD78, a été remplacé par une doublure. Toujours côté « syndicat », Bob Wall, qui avait tourné avec Bruce Lee dans La Fureur du Dragon et Opération Dragon, joue le rôle de Carl Miller.

Aux côtés de Billy Lo, interprétés par les doublures de Bruce Lee (on en parle juste après), on trouve son ami et  journaliste, Jim Marshall, interprété par Gig Young, et Ann Morris la compagne de Billy Lo, interprété par Colleen Camp, une jeune actrice américaine qui débute sa carrière dans les années 70.

 

Pas moins de trois acteurs sont engagés pour jouer le rôle de Billy Lo.

Tout d’abord, Chen Yao Po, connu aussi sous le nom de Albert Sham, un acteur hongkongais.  Il a été utilisé pour les scènes de dialogue. Le plus souvent le personnage de Billy Lo porte de grande lunettes ce qui permet de camoufler son visage. C’est le Billy Lo que l’on voit la plus part du temps en gros plans.

Chen Yao Po joue le rôle de Billy Lo dans Le Jeu de la Mort, version 1978.

Kim Tai Chung, un acteur sud-coréen, pratiquant de Taekwondo. Il participe à toutes les scènes de combat de GOD78. Les scènes de combat sont très bien orchestrées par Sammo Hung. Kim Tai Chung imite bien la gestuelle et le style de combat de Bruce Lee, avec ses coups de pied et ses swings virevoltants. Les combats sont assez fidèles à ceux qu’on a pu voir dans d’autres films de Bruce Lee. On reconnait déjà les talents de Sammo Hung, un des plus grands chorégraphes de Hong Kong.

Kim Tai Cheung utilise ses coups de pied face à Bob Wall.

Enfin Yuen Biao, à l’époque seulement cascadeur à Hong Kong, il avait notamment joué dans les autres films de Bruce Lee ; La Fureur de Vaincre, La Fureur du Dragon et Opération Dragon. Dans GOD78, Yuen Biao est utilisé pour les scènes d’acrobaties et fait donc la doublure de Kim Tai Chung.

Yuen Biao double les séquences d’action les plus acrobatiques.
Yuen Biao saute dans les airs pour éviter la canne munie d’un couteau utilisée par Hugh O’Brian.

Si les scènes de combat sont pas mal réussies et restent assez fidèles à ce qu’on a pu voir dans les autres films de Bruce Lee, là où le bât blesse, c’est l’utilisation des sosies de Bruce Lee. Que ce soit Chen Yao Po ou Kim Tai Cheung, cachés la plus part du temps derrière de grandes lunettes ou même de fausses barbes, on voit bien que le visage n’est pas le même que Bruce Lee. Et pour couronner le tout, la fausse bonne idée de GOD78, est d’avoir utilisé des insertions de plan des autres films de Bruce Lee (principalement La Fureur de Vaincre et La Fureur du Dragon) pour mixer le tout. Ça ne passe pas. Ça fait bricolage. Film amateur.

Le passage des plans des sosies, au vrai Bruce Lee est vraiment très maladroit et saccage complètement GOD78. Parfois de manière très grossière. Par exemple, lors du combat contre Carl Miller (interprété par Bob Wall) qui se déroule dans un vestiaire sur fond gris, Billy Lo (Kim Tai Cheung) se prend un coup de poing, le plan suivant est un gros plan de Tang Lung (Bruce Lee) se prenant une gifle dans le restaurant de La Fureur du Dragon. Rien ne colle.

Autre exemple, lorsque Billy Lo affronte Steiner à la fin du film, celui-ci lui donne un coup de pied. Le plan suivant on voit Bruce Lee esquiver la jambe de Kareem Abdul Jabbar. Bien sûr, la production avait pris le soin de faire porter un pantalon marron à Hugh O’Brian…

Le plan le plus grotesque, qui a certainement sa place sur le top ten des plans les plus grotesques de toute l’histoire du cinéma, est sans doute celui du tout début du film où une photo de Bruce Lee est collée sur un miroir. Comment a-t-on pu avoir cette idée de génie ? A noter que dans la version française du Jeu de la Mort distribué par René Chateau Vidéo, l’époque des VHS, ce plan n’était pas présent. Certainement insupportable à regarder, ce plan a été censuré.

Le summum des effets spéciaux. Une photo de Bruce Lee collée sur un miroir.

Les fausses bonnes idées auraient pu s’arrêter là, mais non. L’apothéose de la maladresse de GOD78 est d’avoir utilisé les images des véritables obsèques de Bruce Lee à Hong Kong du 24 juillet 1973 pour représenter les fausses obsèques de Billy Lo de GOD78. On peut apercevoir le visage de Bruce Lee dans son cercueil. C’est vraiment une folle histoire ce film ! C’est incroyable qu’on est pu utiliser de telles images.

Suite à la mort de Bruce Lee en 1973, il y a eu de nombreuses spéculations sur la raison de son décès. GOD78 n’a pas aidé à les faire taire. Quelque part, le scénario a repris une des nombreuses théories sur le mort de Bruce Lee, c’est à dire le fait qu’il n’était pas mort réellement… Le scénario de GOD78 a été malheureusement prémonitoire pour Brandon Lee, le fils de Bruce Lee, décédé en 1993 sur le tournage de The Crow, par un pistolet qui aurait dû être chargé à blanc.

 

Dans Le Jeu de la Mort version 1978, l’iconique combinaison jaune devient une combinaison de moto revêtue par un des hommes de main du « syndicat » que Billy Lo subtilise à la fin du film.

A la fin du film, arrivent enfin les combats tournés par Bruce Lee en 1972. Au final, sur les 90 minutes de rushes existants, seuls 11 minutes seront utilisées dans la version de GOD78. Les combats de GOD72 sont donc censés se passer dans le restaurant du Dr Lang à Honk Kong et non plus dans une pagode sur une île de Corée du Sud.

Bruce Lee est donc présent à l’écran seulement 11 minutes dans GOD78, qui correspondent au montage des combats contre Dan Inosanto, Ji Han Jae et Kareem Abdul Jabbar, sans que les partenaires de Bruce Lee n’apparaissent. Pour ma part, j’ai pendant longtemps regardé GOD78 avec uniquement les combats contre Dan Inosanto et Kareem Abdul Jabbar car le combat contre Ji Han Jae n’apparaissait pas dans la version française distribuée par René Chateau Video, à l’époque des VHS.

A vrai dire, plusieurs versions ont été produites pour GOD78 ; en cantonais, en mandarin, de Singapour et internationale. Le montage n’était pas tout à fait le même d’une version à une autre. Certains plans (les plus grotesques) où même certaines séquences sont absentes de telles versions et apparaissent d’en d’autres. Les fins du film  notamment était différentes. Dans l’une Billy Lo est arrêté, dans l’autre il quitte Hong Kong à bord d’un ferry en compagnie de Ann et dans une autre le film se conclut tout de suite après la mort du Dr Lang lorsqu’il tombe du toit de son restaurant.

Pour la bande son, les versions chinoises optent pour une bande originale traditionnelle que l’on retrouve dans la plupart des films d’arts martiaux de Hong Kong. La version internationale, quant à elle, se voit offrir une bande originale devenue très célèbre, orchestré par John Barry, le compositeur de la musique de James Bond.

Malgré les critiques, Le Jeu de la Mort version 1978 a été un succès au box-office. On estime un total de 50 millions de dollars de recette cumulée. Un très bon résultat pour l’époque.

 

Le Jeu de la Mort depuis les années 2000

Il faudra attendre 1999 pour que les rushes filmés par Bruce Lee en 1972 soient redécouverts par Bey Logan, un producteur de Hong Kong. Finalement, en 2000, John Little dévoile un documentaire sur Bruce Lee intitulé Bruce Lee : A Warrior’s Journey, dans lequel le montage original du Jeu de la Mort, tel que l’avait imaginé Bruce Lee, est pour la première fois présenté au public. Un tout nouveau montage de pas loin de 40 minutes est réalisé contenant l’intégralité des scènes des 3 derniers niveaux de la pagode.

Plus récemment, en 2022, Alan Canvan a présenté une nouvelle version du montage de GOD72 remasterisé, intitulé Game of Death Redux. Cette version a été présentée lors d’une exposition à Times Square (New-York) en novembre 2022 ; 2022 Urban Action Expo.

 

Bruce Lee devient une icône après sa mort. C’est encore vrai près de 50 ans plus tard, Bruce Lee fait toujours partie de la pop-culture. Le Jeu de la Mort a contribué à sa renommée. Le combinaison jaune est devenue iconique. Elle est apparue dans plusieurs jeux videos, comme Tekken dès 1998. Mais surtout dans plusieurs films. Par exemple dans La Tour Montparnasse Infernale (2001), où l’on peut voir une parodie du combat de Bruce Lee contre Kareem Abdul Jabbar. Autre exemple très célèbre, Kill Bill vol.1 (2003), de Quentin Tarantino, qui relance toute une mode autour de la combinaison jaune, ses déclinaisons, et les baskets Onitsuka Tiger Mexico 66. Une tenue portée superbement par Uma Thurman.

A gauche, Uma Thurman porte un remake de la tenue de Bruce Lee du Jeu de la Mort dans Kill Bill vol. 1. A droite, Marshall Law, un des personnages de Tekken, portant la fameuse combinaison jaune.

Enfin, le Jeu de la Mort établit un concept original dans l’épopée moderne ; un héros affrontant un boss différent ou une épreuve, niveau par niveau, si possible ascensionnel (la pagode), pour mener à bien sa quête. Ça parait banal aujourd’hui, justement car c’est un concept qui a été repris des dizaines de fois, notamment dans les jeux videos. L’origine de ce concept remonte pourtant à GOD72, tout droit sortie de la tête de Bruce Lee.

 

Il y a quelques années, lorsque j’ai commencé à m’intéressé à Bruce Lee et à GOD72, j’avais écrit dans mes notes un script inspiré de GOD72 m’inspirant du scénario original. J’imaginais cette pagode avec tout un tas d’experts en arts martiaux s’affrontant les uns aux autres ; Silat, Capoeira, Karate, styles de Kungfu, MMA, Boxe Thailandaise… . Quelque part ce genre de film a déjà était vu de nombreuses fois, je pense notamment à tous les films d’arts martiaux dont l’histoire se déroule autour d’un tournoi à la manière de Bloodsport (1988). Mais j’aimerais bien voir un jour un film dont le scenario est plus fidèle à celui de GOD72 tel que l’avait imaginé Bruce Lee, ça serait un bel hommage !


Source

[1] Bruce Lee, a life, p381, POLY Matthew, Simon & Schuster UK Ltd, 2018

[2] Ibid, p384

[3] Ibid, p382

[4] Ibid, p383 + post page facebook Bruce Lee du  03/07/2022

[5] Bruce Lee, a life, p383, POLY Matthew, Simon & Schuster UK Ltd, 2018

[6] Bruce Lee : A Warrior’s Journey, de John Little, 2000

[7] article de South China Morning Post : The truth about Bruce Lee’s yellow jumpsuit et interview de Andre Morgan par Bruce Willow

[8] Bruce Lee, a life, p384, POLY Matthew, Simon & Schuster UK Ltd, 2018

[9] article de Eric Monsinjon dans blogs.mediapart.fr

[10] Bruce Lee, a life, p439, POLY Matthew, Simon & Schuster UK Ltd, 2018

[11] Ibid, p481


 

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